“En France, la liberté de soigner a disparu”
L’AP-HP a fermé le service d’oncologie pédiatrique du Dr Nicole Delépine à Garches, l’été dernier, malgré une forte mobilisation des familles et des soignants qui s’y opposaient. L’oncologue poursuit le combat à travers un livre*. Pour elle, la disparition de son unité est le symbole de la mise en place d’un monopole des soins en matière de traitement des cancers de l’enfant. Entretien.
Paris Match. Bien que sa pérennité était officiellement "gravée dans le marbre", votre unité a fermé l’été dernier à l’occasion de votre départ à la retraite, au motif que vous ne respectiez pas les recommandations nationales… Dr Nicole Delépine. … qui étaient de faire entrer les enfants dans les essais thérapeutiques. Notre service, qui existait depuis 1986, a été créé à Garches, à travers un accord avec le ministère de la Santé pour nous assurer des conditions de travail correctes et pour que soit officialisé le droit, pour les patients, au libre-choix thérapeutique. Cet accord n’a jamais été officiellement remis en question.
En quoi vos traitements étaient-ils différents des traitements standards?
Ce n’étaient pas "nos" traitements. Comme 90% des services d’oncologie pédiatrique dans le monde, nous utilisions à la fois les traitements démontrés efficaces, et si rien n’était démontré comme étant efficace, on faisait entrer l’enfant dans un essai clinique (nouvelles molécules). Quand on ne sait pas guérir une tumeur, on essaye. Mais ce qui est insupportable pour les médecins que nous sommes et encore plus pour les parents, c’est quand il existe des traitements plus anciens qui marchent et qu’on ne les donne pas.
Des parents se sont mis en grève de la faim pour défendre ces traitements qui ont fait leurs preuves. Qu’apportaient-ils de plus que les traitements standards ?
La vérification et l’adaptation des doses pour chaque enfant, l’alternance de plusieurs drogues. Et la surveillance de très près, y compris la nuit.
Quels étaient vos résultats ?
90% de guérison des ostéosarcomes des membres pour les enfants qui arrivaient chez nous « en première main ». Pareil pour le sarcome d’Ewing. L’importance de la chirurgie extra-tumorale est aussi capitale.
AUJOURD'HUI, ON NE TIENT PLUS COMPTE DES TRAITEMENTS QUI MARCHENT
Vous expliquez que les plans cancers successifs, à travers des protocoles qui tombent « d’en haut », ont progressivement réduit les possibilités thérapeutiques…
Absolument. Le plan Cancer présenté par François Hollande est encore plus rigide. Il faut maintenant que les cancérologues changent de système de références : les diagnostics doivent être essentiellement génétiques et les traitements basés sur la génétique ciblés. En gros, oubliez tout ce que vous avez appris avant ! Prenez les cellules du patient, faites des tests génétiques dessus, cherchez le médicament qui ressemble le plus à l’indication trouvée chez lui. Que ça marche ou pas, ou bien qu’il existe des traitements plus anciens qui guérissent, ce n’est pas le problème. C’est gravissime ! Et, au nom du droit à l’innovation, c’est la sécurité sociale qui paye à 100%, et à prix d’or, les molécules dites innovantes, basées sur la génétique pour la plupart, et qui n’ont pas encore d’autorisation de mise sur le marché.
Vous dénoncez une standardisation des soins à travers les essais cliniques…
On veut régenter la façon de traiter les cancers depuis la fin des années 90. Les molécules innovantes ne sont pas trop employées chez l’enfant mais on fait de plus en plus d’essais où tout est standardisé : c’est pour tout le monde pareil, il n’y a pas d’adaptation. Ca marche, ça marche pas, c’est comme ça !
Vous voulez dire que quand un enfant est inclus dans un essai, il ne reçoit pas toujours une nouvelle molécule ?
Le traitement standard de première main ne contient pas de molécules innovantes. On parle d’essai parce qu’il s’agit de vieilles molécules auxquelles on a ajouté une nouvelle drogue censée augmenter l’efficacité. C’est un traitement qui se base sur tout ce qui a été démontré, comme nous, sauf que c’est très standard : les médecins ne modifient pas les doses. Aujourd’hui, tous les enfants sont captés dans les essais puisqu’ils n’ont pas le choix.
ON PEUT FAIRE DES ESSAIS CLINIQUES, MAIS PAS AVANT D'AVOIR ÉPUISÉ TOUTES LES CHANCES DES TRAITEMENTS EFFICACES
Beaucoup de parents sont arrivés chez vous parce qu’ils ont fui les traitements innovants pour leurs enfants…
Aujourd’hui, si le traitement standard n’est pas efficace parfois au bout de trois ou quatre mois seulement, on dit aux parents qu’on va essayer de trouver LA molécule qui marche. Après une recherche génétique, l’enfant se trouve inclus dans un essai de telle nouvelle molécule, parfois en phase 1 (test de la toxicité). C’est épouvantable car c’est très tôt dans l’histoire ! On a toujours fait des essais thérapeutiques, le problème est de ne pas les donner avant d’avoir épuisé toutes les chances de traitements déjà démontrés efficaces.
Aux parents très inquiets de voir votre service disparaître, Marisol Touraine avait promis en juillet dernier la continuité des soins pour leurs enfants, sur le lieu de transfert. Qu’en est-il aujourd’hui?
Les parents ont vogué d’un service à l’autre, espérant en trouver un qui soit plus fidèle aux traitements de Garches. Pendant cinq ou six semaines, les centres ont fait croire qu’ils allaient poursuivre nos protocoles. Maintenant c’est fini. Ils ne se mettent pas en rapport avec moi, sous prétexte que je ne remplis plus les critères pour pouvoir assister aux réunions où l’on détermine le traitement des patients (Réunions de concertation pluridisciplinaire), ce qui est faux. Mes anciens collègues ne sont toujours pas remis dans le circuit. Les familles sont complètement désespérées. Certains parents se voient menacés du juge s’ils refusent un traitement.
LE RÉSIDU DE LIBERTÉ THÉRAPEUTIQUE QUE NOUS ÉTIONS A DISPARU
Vous étiez la seule à soigner de cette façon ?
Les autres services indépendants ont progressivement disparu. On était le résidu de la liberté thérapeutique qui avait existé auparavant partout. Le monopole s’est mis en place.
Vous êtes détestée dans le milieu de la cancérologie ?
Non, dans celui de la pédiatrie. Pensez-vous qu’on aurait pu résister pendant trente ans si on n’avait pas été soutenus?
Alors que les recours devant le conseil d’Etat ont échoué, avez-vous encore l’espoir de voir votre unité rouvrir ?
Oui. Me ludot, l’avocat de l’association Amétist qui représente les parents, et sa présidente, Carine Curtet, sont sortis très optimistes de l’audition devant le Défenseur des droits. Nous n’allons pas en rester là.
* “Neuf petits lits sur le trottoir”, de Nicole Delépine, éd. Fauves, 210 pages.
Source : ParisMatch