Fresnes-sur-Escaut : elle se bat depuis trois ans pour passer Noël avec sa fille
Incompréhensible. Insoutenable. L’histoire de Corinne Jaussaud n’a rien d’un conte de Noël. Voilà trois ans que cette Fresnoise de 43 ans se bat pour récupérer sa fille, placée pour raisons médicales dans un centre pédiatrique en Belgique. Privée de visite, elle ne l’a pas serrée dans ses bras depuis un an.
1. Une naissance et des complications. Cindy est née le 16 août 2008 en Belgique. Son père, belge, et sa mère, française, vivaient à Péruwelz. À sa naissance, c’est la stupéfaction : « Elle ne pesait que 1,9 kg, raconte Corinne Jaussaud. Ils l’ont mis sous sonde naso-gastrique (un tuyau dans le nez pour la nourrir). Ils ne voulaient pas que je l’allaite, et elle était trop petite pour téter le biberon ». Elle passe ainsi plus d’un an à l’hôpital, avec sa mère… et la sonde.
Cindy est anormalement petite. Aujourd’hui à 6 ans, elle a le poids et la taille d’une fille de 3 ans. Syndrome de Silver Russel ? Les différents examens n’ont pas permis de le déterminer. « Comme les médecins ne trouvaient pas, ce ne pouvait être que psychologique, raconte Pierre Déjardin, qui partage aujourd’hui la vie de Corinne à Fresnes. Il fallait un coupable, c’était forcément la mère ! »
Quand Cindy s’est cassé le bras, « je n’ai pas pu lui faire un bisou au téléphone ».
2. Une enfant en danger ? Le service de protection judiciaire (SPJ) s’est mis en branle : Cindy est devenue une enfant protégée. En 2010, elle a finalement le droit rentrer chez elle. Sa mère continue de la nourrir à la sonde, jusqu’au jour où « Cindy arrache son tuyau. Elle ne voulait plus se laisser faire. ». Elle est de nouveau hospitalisée, « parce qu’elle avait perdu un kilo ». Elle ne sortira plus jamais de l’hôpital. Quand elle arrive au centre pédiatrique de Clair-Vallons au sud de Bruxelles, en octobre 2011, Cindy ne sait pas mâcher. « Mais elle a très vite appris », raconte la maman, qui espérait vite la retrouver… Mais non. Le SPJ, année après année, obtient le renouvellement du placement. Dans un de ses derniers rapports, il indique que « Cindy reste une enfant très fragile qui a besoin d’aides spécifiques que ses parents ne peuvent lui apporter ».
3. Vers un scandale d’État ? « Mais ce n’est pas une mère maltraitante ! », rétorque son avocat belge Philippe Vanlangendonck. L’autorité médicale lui a même été retirée, simplement parce qu’elle posait des questions sur les hormones de croissance qu’on administre à sa fille ! » Depuis les visites lui sont interdites. Voilà un an que Corinne n’a droit qu’à six minutes de téléphone par semaine, le jeudi.
Quand Cindy s’est cassé le bras il y a peu, « je n’ai pas pu lui faire un bisou au téléphone ». Ce n’était pas jeudi… Dire que dans ce même rapport du SPJ, « Cindy est décrite comme une enfant triste, pleurant facilement. Elle exprime qu’elle veut sa maman et qu’elle lui manque ». Paradoxe ? Côté belge, « c’est l’enlisement », reconnaît l’avocat. Aussi, le pénaliste français Emmanuel Ludot se dit, lui, prêt à « allumer un conflit diplomatique ».
Son avocat Me Ludot : «Pour la sauver, il faut faire sauter la baraque»
Emmanuel Ludot est un pénaliste reconnu, l’avocat des causes insolites ou sensibles. Il a défendu des fans de Michaël Jackson mais aussi… Saddam Hussein.
– Pourquoi avoir pris ce dossier ?
« J’avais déjà défendu l’UNACS (l’association française qui soutient Corinne, lire ci-contre), et ils m’ont parlé de cette affaire. J’ai été saisi par les méthodes pour le moins curieuses de ce centre. En Belgique, la situation est complètement bloquée. Mais comme la maman est française, que Cindy a la double nationalité, la seule solution est de faire rapatrier l’enfant sur le seul français ».
– Quels pourraient être les angles d’attaque ?
« Leur raisonnement à Clair-Vallons ? Cindy se nourrira mieux si on la coupe de sa maman… Mais c’est de l’analyse psychologique de comptoir ! Cet enfant est en souffrance, a des carences affectives… Le motif du placement est aussi suspect : un problème de croissance… Les juges en Belgique manquent manifestement de curiosité… Et on prive la mère de l’accès au dossier médical, pendant qu’on bourre l’enfant d’hormones de croissance, des substances dont certains médecins dénoncent la dangerosité à moyen terme (risque d’accidents vasculaires cérébraux…). Il faut prouver que Cindy est en danger là-bas. »
– Quelles démarches juridiques avez-vous entreprises ?
« Le 11 décembre, j’ai saisi le pôle enfants du Défenseur des Droits (une instance juridique représentée par Jacques Toubon à Paris). Cela peut prendre trois ou quatre mois, mais j’ai bon espoir. Il faut qu’un juge des enfants s’empare de ce dossier. (…) Oui, mon intention est bien d’allumer un conflit diplomatique entre la France et la Belgique. Car pour sauver cet enfant, il faut faire sauter la baraque ».
D’autres cas troublants à Clair-Vallons
Le Belge Raphaël Sirjacobs est un ancien de Clair-Vallons, le centre médical pédiatrique d’Ottignies de 120 lits (non loin de Wavre), où Cindy a été admise. Il a pris fait et cause pour la maman, en lançant un groupe Facebook, et en organisant une manifestation ce vendredi après-midi devant les portes de l’établissement.
« Ils m’ont trouvé une maladie »
« J’ai été placé là-bas à l’âge de 13 ans, car mes parents étaient en instance de divorce, raconte-t-il. Et là, ils m’ont trouvé une maladie : un eczéma aux pieds. J’ai dû rester plusieurs mois, après qu’ils ont libéré mon frère et ma sœur ». Il en parle comme une prison… « Mon père a dû se battre pour me récupérer ». La rupture avec la famille serait là-bas plus qu’un mal nécessaire, une thérapie ? « Ils jouent sur le nerveux de l’enfant », explique le Belge, dont l’eczéma avait disparu sitôt de retour à la maison.
« J’ai aussi un cousin, handicapé moteur, qui n’a pas le droit de visite là-bas sur sa petite-fille, gravement malade », poursuit-il. Et la réputation de l’établissement n’en pâtit-elle pas ? « Ah, non, ils ont une belle image, un beau parc, de belles activités… ». Et comme en témoignent les placements renouvelés de Cindy, la justice belge semble faire entièrement confiance à l’établissement. Jusqu’à quand ? Une mère vient de déposer plainte après qu’une infirmière a frappé son fils de 11 ans, un enfant sous dialyse à Clair-Vallons. La presse belge s’en est émue la semaine dernière. La belle image ne serait-elle pas en train de s’écorner ?
Sur le cas de Cindy, sur ses pratiques, le centre Clair-Vallons n’a pas voulu donner suite à notre demande d’entretien, évoquant « le secret médical ».
La mobilisation grandit pour Cindy sur le Net et dans la rue
La lutte pour les droits des patients et de leur famille, c’est devenu le combat de Raphaël Sirjacobs depuis qu’il a perdu sa fille Stacy, âgée de deux mois. Elle est décédée tragiquement en octobre 2011 après avoir reçu un triple vaccin. Ancien patient lui-même de Clair-Vallons, il s’est ému de l’histoire de Corinne et Cindy, y retrouvant la sienne. L’éloignement familial, il le combat fermement, parce que « Cindy n’a qu’une mère et ce n’est pas Clair-Vallons ».
Rassemblement ce vendredi après-midi devant l’établissement
Aussi a-t-il lancé le 13 décembre un groupe Facebook pour soutenir Corinne Jaussaud. Une page qui lui a permis d’attirer l’attention des médias. La presse belge s’est fait écho ces dernières jours de l’histoire de Cindy, mais aussi de l’affaire Haroune, l’enfant de 11 ans giflé par une infirmière de Clair-Vallons. L’opinion belge ainsi mobilisée, Raphaël Sirjacobs espère attirer la foule ce vendredi après-midi à 13h devant l’établissement pour un rassemblement qui se veut « symbolique ». « On veut leur montrer qu’il y a du monde, des avocats, des associations qui soutiennent Corinne », explique-t-il. « On va essayer de déposer une lettre et un petit cadeau pour Cindy... »
En France, c’est l’Union nationale des associations citoyennes de santé (UNACS) et son président Jacques Bessin qui ont décidé de soutenir moralement et juridiquement Corinne Jaussaud. « On s’est spécialisé dans le droit médical. On aide par exemple les enfants cancéreux ou encore les parents qui font le choix de ne pas vacciner leur enfant ». Lui-même, en Normandie, s’est battu en justice, pour qu’elle lui reconnaisse ce droit. L’histoire de Cindy et Corinne l’a touché. « C’est tellement gros. Les droits élémentaires, comme l’accès au dossier médical, sont bafoués (...) Mais qu’est-ce qui se passe dans ce centre ? Cindy est certes petite, mais elle est en parfaite santé, pourquoi ne la rend-t-on pas à sa famille. C’est à dormir debout, cette histoire ! »
C’est Jacques Bessin qui a mis en relation Corinne Jaussaud et un ténor du barreau français, Me Emmanuel Ludot, et le pénaliste a pris le dossier à bras le corps.
PAR CÉCILE THIÉBAUT - La Voix du Nord