Inaction climatique : la veuve d’un travailleur victime d’un coup de chaleur attaque l’État
INFO LE PARISIEN. L’épouse d’un chauffagiste, décédé des suites d’une crise cardiaque survenue le 4 juillet dans la Marne, pendant le déchargement d’un camion en plein soleil et par 40 degrés, met en cause la responsabilité de l’État via sa politique climatique défaillante. Une première.
C’est avant toute chose l’histoire d’un drame. La mort d’un homme. Un salarié en parfaite santé décédé des suites d’un arrêt cardiaque survenu en plein labeur physique par une chaleur suffocante. C’est ensuite et pour un temps indéfinissable l’immense douleur de ses proches. Mais c’est aussi un combat incarné par une épouse qui ne veut pas que son mari « soit mort pour rien », expression trop souvent ravalée au rang de cliché alors qu’elle recèle un sens évident : tout faire pour éviter un drame similaire.
L’avocat de cette mère de famille endeuillée, Me Emmanuel Ludot, a décidé d’engager la responsabilité de l’État « dans le cadre des conséquences dommageables de son inaction climatique », et de solliciter une indemnisation « au titre d’un préjudice écologique ». Pour ce faire, il a déposé le 10 novembre une requête auprès du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne dans l’espoir que soit, dans un premier temps, ordonnée une expertise médicale.
« C’est un combat pour la mémoire de mon mari. Je veux que l’on reconnaisse la souffrance qu’il a endurée et qui lui a coûté la vie, c’est primordial. Et je souhaite aussi que les salariés soient à l’avenir mieux protégés », confie la veuve de ce chauffagiste qui s’est éteint le 16 juillet dernier au CHU de Reims (Marne) où il avait été hospitalisé après avoir fait une crise cardiaque douze jours plus tôt pendant son travail.
« Je me sens vraiment mal, je vais appeler les pompiers »
Ce lundi-là, son employeur lui a demandé de décharger un camion. Une « tâche exceptionnelle », souligne la veuve du quinquagénaire - « chauffagiste, pas manutentionnaire » - qu’il a dû exécuter en plein soleil par une température de 40 degrés. Sous cette chaleur écrasante et avec ces charges à porter, l’employé a subitement ressenti un malaise. Inquiet, il a téléphoné à sa femme.
« Au boulot, ils m’ont fait décharger mon camion en plein cagnard cet après-midi. J’en ai bavé, je ne sais pas si j’ai pris un coup de chaud ou quoi, mais cela ne va pas du tout, je me sens vraiment mal, je vais appeler les pompiers », s’est alors alarmé le chauffagiste. Malgré les soins intensifs des secours qui ont assuré une reprise de l’activité cardiorespiratoire puis la pose d’un stent avec succès au CHU, le quinquagénaire ne survivra pas. Cause de l’arrêt cardiaque ? Un syndrome coronarien aigu par thrombose de l’artère interventriculaire antérieure, estime le professeur Paul Fornès, légiste qui a examiné ce dossier médical à la demande de Me Ludot.
Ce praticien relève que les troubles du rythme ventriculaire ont été déclenchés « à l’occasion d’efforts associés à une hyperthermie sévère/maligne (hausse de la température corporelle et déshydratation), l’ensemble entraînant une accélération brutale de la fréquence cardiaque. » Selon le même légiste, de tels efforts entraînent un « stress physique aigu et intense par stimulation du système nerveux sympathique devenant arythmogène (source de troubles cardiaques). Enfin, l’élévation brutale de la pression artérielle entraîne « des lésions à la surface des artères coronaires à l’origine d’une thrombose et d’une ischémie (manque vital d’oxygène dans le cerveau), elle-même arythmogène. »
Surtout, le professeur Fornès estime que ces mécanismes montrent « le rôle essentiel de la chaleur extrême », alors que les efforts faisaient partie du travail habituel du que les efforts faisaient partie du travail habituel du chauffagiste qui ne s’en plaignait pas. Et d’affirmer : « le facteur environnemental est donc l’élément déterminant, certain, qui a déclenché le processus aboutissant à l’arrêt cardiaque. »
« Ce qui est arrivé à mon mari doit les faire ré�léchir »
Ces observations vont être jointes aux débats (comme la montre connectée portée le 4 juillet par le défunt et qui a enregistré son activité cardiaque) par Me Ludot qui énonce les arguments confortant - à ses yeux - la mise en cause de la responsabilité de l’État. « Le Conseil d’État a, en juillet 2021, constaté l’insuffisance de la politique climatique de l’État français pour atteindre une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030.
En conséquence, il a enjoint le gouvernement à prendre toutes mesures utiles pour revenir à la trajectoire climatique avant fin mars 2022 », rappelle l’avocat en soulignant d’autres décisions rendues depuis.
Ainsi, le 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État pour inaction climatique, aboutissement des trois ans de combat acharné des acteurs de la désormais célèbre « Affaire du siècle ». D’autre part, l’avocat fait grief à l’État de « ne pas avoir complété et modifié le Code du travail pour protéger les salariés, quelle que soit leur branche d’activité, des effets nocifs des fortes chaleurs ».
La procédure intentée par l’épouse du chauffagiste a-t-elle des chances d’aboutir ? Comme toutes les premières, l’incertitude domine. Mais au-delà du droit pur, il y a, selon cette femme, une urgence. « On le sait désormais, les périodes de très fortes chaleurs vont se multiplier. Donc les politiques et les employeurs doivent se bouger, ce qui est arrivé à mon mari doit les faire réfléchir, il faut changer les mentalités », confie au bord des larmes l’épouse du salarié décédé. Avant qu’une formule lui vienne à l’esprit, en apparence maladroite. Elle hésite, puis l’assume avec dignité : « Il ne faut plus que des gens soient tués au travail ».