Le football belge en pleine barbouzerie
En 2016, alors qu’il avait gagné le droit de monter en première division, le White Star de Bruxelles a vu sa route barrée par la fédération pour cause de finances bancales. Une excuse bidon, selon l’investisseur Djamel ben Ferha, qui pointe une opération au bénéfice du Qatar. Plongée dans les arcanes peu reluisants du mélange des genres, alpha et oméga du foot contemporain.
Le 14 février, dans un prestigieux hôtel, non loin de la gare de Bruxelles-Midi. Djamel ben Ferha parle vite. Le lendemain, à la fraîche, 7 h 30, il va être entendu par les enquêteurs de police. Pour l’heure, l’Algérien de 43 ans parle d’«omertà du football belge», qu’il décrit comme un système «vicié de l’intérieur». Puis il déroule son histoire, celle d’un investisseur ayant perdu son argent dans les arcanes du football belge, quelque 5 millions selon divers documents que nous avons pu consulter. Lui estime le préjudice encore supérieur. Ce jour-là, tout se passera off the record. Il veut le temps de la réflexion.
Un mois plus tard, il décide de se livrer dans un restaurant parisien du VIe arrondissement de Paris. Son histoire commence en 2013 : l’opportunité d’investir dans un club en Belgique en reprenant ses dettes. C’est le White Star Woluwe, qui évolue alors en 2e division. «Chaque année, j’investissais via ma société Gulf Dynamic Challenges. Je voulais un projet sportif et social, avec l’objectif d’accéder à la division 1 à moyen terme.» Le cadre : un football belge en plein essor sportif, sur les ailes d’une génération dorée (Eden Hazard, Thibaut Courtois, Kevin De Bruyne…) qui les amènera à la troisième place du Mondial 2018 et à la tête du classement Fifa.
Acte I : le piège de la commission des licences
Plus prosaïquement, il a un autre atout aux yeux des investisseurs : l’absence d’impôts sur les plus-values. Le 30 avril 2016, le White Star Woluwe, devenu White Star Bruxelles, l’emporte (3-0) sur la pelouse de Maasmechelen lors de la dernière journée de la saison et décroche la première place, obtenant sur le terrain le droit de monter parmi l’élite. L’euphorie est de courte durée : une semaine plus tard, suivant les préconisations de l’Union royale belge des sociétés de football-Association (URBSFA, la fédération), la Cour belge d’arbitrage pour le sport refuse la licence au White Star Bruxelles (qui lui permettrait de monter en division 1) en avançant des craintes «sur la continuité financière pour la saison à venir», c’est-à-dire faute de garanties. «Ils n’avaient qu’une semaine pour construire un budget en urgence alors qu’ils étaient en discussion avec des partenaires potentiels, explique le dirigeant d’un club rival. Une semaine ! En plus, le club était monté à la surprise générale. Difficile d’anticiper.» «Le budget d’un club de ligue 2 jouant la montée en ligue 1 est de 4 ou 5 millions d’euros, nous explique un agent. Pour un club de ligue 1 de bas de tableau visant le maintien, ça tourne autour de 7 ou 8 millions.» Pas simple, voire impossible de redimensionner un budget dans ces proportions en quelques jours, même si Djamel ben Ferha avait anticipé une éventuelle montée : «J’avais des contacts. Mais ils venaient si le club évoluait dans l’élite.» La décision de la cour d’arbitrage est lourde de conséquences : non seulement le club n’accède pas à la ligue 1, mais il est administrativement rétrogradé en 3e division, ce qui entérine rien moins que sa mort, à commencer par la disparition de son centre de formation.
Acte II : un stade disparaît puis réapparaît
Pour Djamel ben Ferha, cette rétrogradation s’est d’abord tramée en amont autour d’une histoire de stade. «La bourgmestre de la ville de Molenbeek à l’époque, Françoise Schepmans, nous a mis des bâtons dans les roues. On cohabitait dans le stade Machtens avec l’autre club de la commune bruxelloise de Molenbeek, le Racing White Daring (RWDM), porté par son président, Thierry Dailly. Le 4 avril 2016, le collège communal décide de casser la convention d’occupation de neuf années qui liait le White Star et le stade Machtens : en pleine bagarre pour la montée, l’attitude de la bourgmestre avait de quoi interpeller.»
Et pour cause : le 4 avril correspond également à la date limite de dépôt du dossier devant la commission des licences, ouvrant ou non la possibilité de s’inscrire dans l’édition suivante du championnat… S’appuyant sur la décision de la bourgmestre, la commission de la fédération décide, le 12 avril, de refuser l’inscription du White Star.
L’affaire faisant grand bruit, la bourgmestre renégociera une nouvelle convention quelques semaines plus tard… pour une durée indéterminée. Mais le préjudice est réel : en l’absence de stade, impossible de convaincre des investisseurs dans l’intervalle. Contactée par Libération, Françoise Schepmans a commencé par faire un effort de mémoire : «C’est un dossier qui date d’un certain temps déjà. Je sais que le White Star s’est plaint du traitement que leur a réservé la commune, mais la seule chose qu’ils n’ont pas comprise, c’est que le stade Edmond-Machtens ne leur appartenait pas. C’est la commune qui avait la bienveillance de leur prêter les lieux. Et ils n’ont pas respecté certaines obligations de travaux.»
Mais alors, pourquoi finalement accorder une nouvelle convention ? Par ailleurs, les liens entre Françoise Schepmans et Thierry Dailly font parler : ils affichent leur proximité et le patron du RWDM, personnage clé de la vie locale, finira par rejoindre la liste de la bourgmestre (Mouvement réformateur) en tant qu’indépendant lors des élections communales de l’automne 2018. «Je me suis mis sur la liste de Mme Schepmans uniquement par respect pour elle et non par amitié, explique Thierry Dailly à Libération. Avant qu’elle soit bourgmestre, j’étais déjà en bon rapport avec son prédécesseur, Philippe Moureaux. Quant au stade Machtens, même si nous avons accepté de partager les lieux, il a toujours historiquement appartenu au RWDM [en réalité, il appartient à la ville, ndlr]. Comme le Parc des princes pour le Paris-SG.»
Acte III : les Qataris à la manœuvre
Club à l’ancrage populaire plus affirmé que son voisin, le RWDM évolue aujourd’hui en division 1 amateur, le troisième échelon national. Pour comprendre qui tire les marrons du feu des mésaventures du White Star, il faut regarder ailleurs. Le dauphin du club de Molenbeek en ligue 2, automatiquement repêché si la licence n’est pas délivrée à l’équipe bruxelloise, est en effet le KAS Eupen, qui appartient alors - et toujours - à l’émir du Qatar via l’académie Aspire, une structure de formation et de développement des joueurs de football dépendant de Qatar Sports Investments, alimenté par les fonds souverains de l’Etat du Golfe, qui possède le Paris-Saint-Germain, par exemple. «Le Qatar n’est pas resté les bras croisés, explique un proche du dossier. Ils se sont portés partie demandeuse devant la Cour arbitrale pour le sport d’une part, et devant l’Autorité de la concurrence d’autre part, en qualité de partie prenante du débat.»
Reste que le club sous pavillon qatari n’offre, à ce stade et compte tenu des délais impartis (fin du championnat de ligue 2 le 30 avril, licences délivrées ou non le 12 avril, verdict de la Cour arbitrale pour le sport interdisant la montée du White Star le 6 mai), pas plus de garanties financières que le club de Molenbeek. L’entrepreneur algérien apprend alors la chose suivante, que Libération est en mesure de confirmer : la Fédération belge prend l’initiative de réclamer un chèque de 10 millions d’euros au KAS Eupen valant garantie… pour le déposer tout simplement sur le compte courant de la ligue professionnelle. Un procédé pour le moins inégalitaire, aucun club ou presque ne pouvant sortir une telle somme à la seconde.
Mais Eupen s’exécute. Et accède ainsi à l’élite. «Dix millions sur un compte courant, en un claquement de doigts, ressasse Djamel ben Ferha. C’est sûr que quand ton actionnaire est l’Etat du Qatar… Mais est-ce qu’on l’a demandé aux autres ? A ceux qui disputent le championnat de première division ? On ne nous l’a pas demandé à nous. 90 % des clubs belges présentent des comptes négatifs chaque année et sont en faillite virtuelle [c’est-à-dire si les créanciers font valoir leurs droits] et en comptant large, je ne vois qu’Anderlecht [club le plus riche de Belgique] et son propriétaire, Marc Coucke, pour faire un chèque pareil. Les 10 millions, c’est un petit arrangement entre amis.»
Le club d’Eupen n’a pas souhaité s’exprimer. Du côté fédéral, on admet le principe tout en contestant mollement la somme. Qu’une source interne à la ligue pro confirme à demi-mot : «Le fait que le propriétaire d’un club doive garantir la continuité de son club - et cette continuité conditionne l’obtention de la licence - par une garantie bancaire, une caution personnelle ou une augmentation de capital n’a rien d’exceptionnel. Ceci a notamment été le cas pour Eupen. Mais ça n’a rien à voir avec une somme remise à la fédération pour obtenir les faveurs de la commission des licences.» Pour autant, le principe du dépôt sur un compte et son montant sont absolument discrétionnaires. Et l’utilisation ultérieure des 10 millions pose question, pour le moins.
Il faut dire qu’entre le Qatar et la fédération belge, c’est une longue histoire. En 2010, les Diables rouges sont à l’agonie (non qualifiés pour les Coupes du monde 2006 et 2010, absents de l’Euro 2008) et les comptes de la fédération dans un état déplorable quand Burrda Sports, une société de droit suisse alimentée par les fonds souverains qataris, accepte de prendre le relais de Nike pour équiper la sélection belge : à peu près 1 million d’euros annuels, dont la moitié en dotation d’équipements, un deal jugé à l’époque favorable à l’instance.
Les liens entre les deux pays vont cependant au-delà du foot, et remontent à l’époque où le Belge Jacques Rogge était président du Comité international olympique et où le Qatar lançait les bases de cette «diplomatie par le sport» consacrée quelques années plus tard par l’obtention de l’organisation du Mondial 2022 : sur les huit conseillers, experts et lobbyistes qui accompagnaient Tamim ben Hamad al-Thani, alors président du Comité olympique qatari, lors de l’audience qui leur avait été accordée lors des Jeux d’hiver à Salt Lake City en 2002, Rogge avait vu arriver… deux Qataris et six Belges. Rogge s’en était d’ailleurs amusé : «C’est une délégation qatarie que je reçois ? Ou bien belge ?» (1)
Privé d’oxygène, le White Star repartira pour la saison 2016-2017 au troisième échelon national : 50 000 euros annuels de droits télé, à comparer avec les 2 millions alloués pour un club de l’élite. «Le FC Malines, qui vient tout juste d’accéder à la première division, est englué dans une affaire de match truqué, raconte un acteur du foot belge. Le patron de la ligue pro [Pierre François, ndlr] a annoncé que même s’il était reconnu coupable, le club serait maintenu en ligue 2. Vous trouvez ça juste ?» Miné par des problèmes financiers entraînant des sanctions administratives et sportives, le club coulera à pic, jusqu’à sa radiation faute de repreneur, en octobre 2017. Entraîné par l’ex-international français Claude Makélélé, le KAS Eupen occupe la douzième place (sur seize) d’une élite belge où le club s’est toujours maintenu depuis son accession. Et il joue efficacement son rôle de plateforme du football qatari : sur les 23 internationaux de l’Etat du Golfe qui ont remporté la Coupe d’Asie aux dépens du Japon en janvier, sept sont passés par le club de la province de Liège.
Acte IV : changement d’identité
Le coup est dur pour Djamel ben Ferha : plutôt que la première division belge à laquelle son club du White Star Bruxelles a accédé sportivement, il débute la saison 2016-2017 en troisième division. «Nous n’avons pas été traités de façon juste et équitable», estime-t-il. L’entrepreneur de 43 ans débute un combat judiciaire : l’Autorité belge de la concurrence, saisie par le White Star, a en effet refusé de suspendre la décision de la Cour belge d’arbitrage pour le sport, expédiant de fait le club en troisième division. Le collège de la concurrence a motivé sa décision, expliquant que «les comportements prétendument anticoncurrentiels de l’URBSFA manquent de toute pertinence pour apprécier le caractère fondé ou non» de la demande du White Star. Le couperet est tombé : une éventuelle poursuite du combat devant les tribunaux ne pourrait se conclure avant deux ans au minimum. Dans un sens ou dans l’autre. La bataille juridique s’annonce longue. Or Djamel ben Ferha n’est pas du genre à attendre que ça se passe. Lui vient alors l’idée de mener sa propre enquête.
Problème : l’affaire de la rétrogradation du White Star a été médiatisée, son nom est connu comme le loup blanc. Toutes les portes se ferment. Il décide alors de changer d’identité aux yeux de ses interlocuteurs : il choisit un nom d’emprunt et se présente comme professeur d’université et maître de conférences. Sous ce masque, il entre en contact avec la fédération belge et demande des informations relatives à l’état de santé financier de certains clubs belges. Djamel ben Ferha part sur une intuition : malgré leur situation financière catastrophique, de nombreux clubs obtiennent la fameuse licence permettant de s’inscrire dans les compétitions, celle-là même qui fut refusée au White Star. Surprise : ce n’est pas un employé de la fédération qui revient vers lui, mais un certain Janko Athanassov, ressortissant belge d’origine serbe.
Acte V : le mystérieux Janko Athanassov
«Il s’est présenté comme un consultant indépendant de la Pro League [la ligue regroupant les clubs professionnels] et de la fédération, explique Djamel ben Ferha. Nous nous sommes vus à plusieurs reprises, trois fois pour être précis. Toujours en Belgique.» Janko Athanassov est avenant, sympathique. «Il m’a dit qu’il était prêt à m’aider à obtenir les informations que j’avais demandées à la fédération, mais moyennant finance. Il a ajouté : "J’ai les clés du coffre. Nous sommes trois à avoir accès à toutes les archives et toutes les informations : le président de la commission des licences, le directeur général de la ligue professionnelle et moi-même… Je peux avoir accès à tous les éléments que vous me demandez."» Pour cela, il faut payer.
Djamel ben Ferha, ou plutôt le personnage qu’il s’est fabriqué, refuse. Il lui vient cependant une idée : il propose son aide dans la quête d’investisseurs étrangers, plaidant l’importance de son réseau entretenu par sa position de maître de conférences. Athanassov marche. Et lui fait entrevoir le champ des possibles. «Concrètement, je devais trouver des investisseurs. Admettons que j’en ramène un capable de mettre 10 millions dans le rachat d’un club : dans un cadre, disons transparent, cet investisseur va voir le propriétaire du club qu’il convoite et lui propose 7, le dirigeant fait une contre-proposition, etc. Si l’acheteur va voir Athanassov avant de prendre contact avec le propriétaire, celui-ci lui lâche toutes les infos : le montant des dettes du club, celles du propriétaire, s’il est étranglé par un divorce, etc. Pour résumer, Athanassov connaît le prix net. Le propriétaire demande 8 millions ? Le club est surendetté, il vaut 3, le vendeur le lâche pour 5 et on récupère une partie de la marge. Athanassov prend sa part et met des mecs à lui à la tête du club dans la foulée. Mais il reste à l’abri, bien au chaud, à la fédération : dans son rôle d’interface, à récolter suffisamment d’informations pour le développement du club repris. Il ne m’a jamais explicitement dit ce que je pourrais y gagner, ce n’est bien entendu pas allé plus loin. Mais j’ai compris que si je travaillais bien, je m’y retrouverais.»
Athanassov lui ouvre tout grand une fenêtre sur la réalité du football belge : une écrasante majorité des clubs professionnels sont en faillite virtuelle, ceux-ci peuvent ainsi se brader grâce aux bons offices d’un agent double œuvrant au sein même de la fédération. Un cas a été documenté cet automne dans le cadre des Football Leaks, des documents exploités par un consortium de médias européens, dont le journal belge le Soir : celui du Royal Excel Mouscron, un temps sous pavillon maltais avant sa revente en juin 2018 pour 1 euro symbolique à Bongo Co, une société coréenne appartenant au Thaïlandais Pairoj Piempongsant. Dans le milieu du foot belge, on tient cette société pour un faux nez : le club appartient depuis 2015 à l’Israélien Pini Zahavi et son associé macédonien Fali Ramadani, deux des agents les plus puissants d’Europe. Or, en Belgique comme dans de nombreux pays européens, un agent ne peut détenir un club, pour des motifs évidents de conflit d’intérêts et de distorsion de concurrence.
Acte VI : quand les instances jouent les intermédiaires
En 2015, donc, le Royal Excel Mouscron a été racheté par Goal Football Malta, une société aux capitaux maltais - dont les fonds sont intraçables, en gros - dans les mains de Pini Zahavi. Plusieurs clubs belges s’estimant lésés et portant plainte, la fédération a alors pressé Mouscron de montrer un visage plus présentable. Ce qui a conduit au rachat des parts de Goal Football Malta en juin par une autre société maltaise, Latimer International Limited, détenue à 99 % par un dénommé Adar Zahavi, le neveu de Pini.
Les Football Leaks ont mis en lumière le rôle de Pierre François, le directeur général de la ligue professionnel belge, l’une des trois personnes qui, selon la terminologie utilisée par Janko Athanassov, avaient «les clés du coffre».
Le 29 septembre 2016, c’est Pierre François qui contacte le président délégué de l’AS Monaco d’alors, Vadim Vasilyev, pour lui proposer le rachat de Mouscron, endossant ainsi un rôle de VRP peu en rapport avec ses fonctions à la ligue pro. On cite le mail envoyé à Vasilyev :«Je ne pourrais que vous recommander d’entamer cette discussion en direct avec "P.Z." plutôt que via des intermédiaires, et ce d’autant que vos bonnes relations avec l’intéressé devraient permettre d’aller droit au but (si je puis dire pour un rival de l’Olympique de Marseille [dont "Droit au but" est la devise, un peu d’humour ne fait jamais de mal, ndlr]).» P.Z. étant bien entendu Pini Zahavi, il est permis de se demander pourquoi il faut contacter un ex-propriétaire n’apparaissant plus parmi les actionnaires du Royal Excel Mouscron depuis trois mois.
Surtout, le fait que Pini Zahavi soit décisionnaire à Mouscron n’échappe manifestement pas à Pierre François, pourtant membre ès qualités d’une instance chargée de faire respecter les règles. Et non pas de jouer les entremetteurs, d’autant plus facilement que ses fonctions lui donnent accès à une précieuse somme d’informations. Contacté par Libération, Pierre François plaide le pragmatisme : «C’est M. Vasilyev qui m’a contacté le premier, pour me demander si je connaissais des clubs [belges] à vendre. Je lui ai donné six ou sept noms. Sans citer Mouscron : bien sûr que je savais que Pini Zahavi dirigeait le club, tout le monde le savait, la presse le prenait en photo au stade… Pas question pour moi de mettre en relation un éventuel acheteur avec Mouscron. Mais Vasilyev est revenu vers moi : "Et Mouscron ?" A ce moment, je lui ai indiqué qu’il fallait parler avec Pini Zahavi. Mon rôle s’est arrêté là. Plus généralement, je n’ai absolument jamais tiré le moindre profit de ce rôle de mise en relation, ni même assisté aux rendez-vous entre les vendeurs et acheteurs éventuels.» Pini Zahavi fournira à Vasilyev les données demandées.
Aujourd’hui, la justice belge enquête sur les conditions d’octroi de la fameuse licence à Mouscron en 2016, 2017 et 2018. Elle a aussi ouvert une enquête pour faux, usage de faux et blanchiment, rapport aux capitaux maltais. Vasilyev rachètera finalement un autre club belge en mai 2017, le Cercle Bruges, pour un prix non communiqué. Compris entre 2 et 3 millions d’euros selon les Football Leaks : un montant ridiculement bas, revu à la baisse selon le document officiel de cession que Libération a pu consulter : 1,3 million, pas un euro de plus. Même pas le prix d’une demi-douzaine de joueurs sous contrat.
Au cours de nos investigations, deux interlocuteurs haut placés, le premier à la ligue pro, le second à la fédération, nous ont priés d’attendre «un coup de fil du Parquet belge, où l’affaire [Athanassov] est en instruction». Un responsable fédéral ayant le pouvoir de faire appeler un journaliste par un policier : on en salivait d’avance. Hélas, on n’a rien vu venir. Estimant avoir été lésé dans l’affaire du White Star, Djamel ben Ferha et son avocat, Me Ludot, se sont portés partie civile dans la procédure contre la commission des licences.
Acte VII : épilogue
Le dernier contact téléphonique de Djamel ben Ferha avec Janko Athanassov remonte à mai 2018 : Athanassov embarquait avec la délégation belge en Russie, où les Diables obtiendront la troisième place. Selon une source fédérale, Pierre François nie formellement connaître Athanassov. Le 15 février 2019, Djamel ben Ferha est convoqué dans un bureau du commissariat central de Bruxelles par les enquêteurs du parquet royal : Janko Athanassov, l’apporteur d’affaires de la fédération où il n’avait, de son propre aveu, «personne au-dessus de lui», est sur écoute depuis des mois. Les enquêteurs apprennent alors à l’homme d’affaires algérien qu’Athanassov est mis en examen, sans en préciser le motif. Ce 15 février, Djamel ben Ferha s’est donc un temps vu passer du rôle de victime à celui de suspect, cuisiné pour ses liens présumés avec Athanassov. Au cours de son témoignage, un des enquêteurs aura eu cette phrase : «C’est incroyable, ce que vous me racontez.»
(1) Qatar, les secrets du coffre-fort, de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, Michel Lafon, 2013.
Source : Libération